Long cours

Tout l’art des alburarismis

Un récit aventureux de Bernard Teulon-Nouailles. Épisode 4.

Avant de me laisser franchir le seuil de leur inénarrable territoire les alburarismis procédèrent sur ma personne à toute une série d’expériences qu’il me sera malheureusement impossible de toutes me remémorer.
J’avais dû, au préalable, absorber un breuvage verdâtre, insipide et inodore (me semble-t-il !), censé me transporter directement chez eux sans passer par les frontières qu’on dit naturelles. En fait, il n’existe pas, du moins à mon avis, de préposé au poste de douane chez ces insulaires jaloux de leur excentricité.

Les alburarismis ne sont guère cartésiens ne sachant faire table rase ce qui signifierait pour eux repartir à zéro.
Il leur arrive de commettre des actions défiant toute logique : éructer avant de déjeuner, dormir durant une conférence ou publier des discours d’anti-méthode (car une absence de méthode ne saurait se concevoir comme telle) et autres apories. Lors d’un débat sur l’Inconnaissable je vis l’ensemble de la communauté y compris les tout-petits (il faut les voir esquisser un braillement comme pour revendiquer leur droit de parole) discuter avec une courtoisie trop prononcée pour ne pas dénoncer la férocité foncière des réparties. J’ai su d’ailleurs qu’un tel exercice relevait d’une nécessité cathartique mais que les débordements formels en étaient exclus. Amusant de les voir se traiter de con sur le ton d’un abbé pleurnichant sur le sort des laissés pour compte (ceux-ci n’existent pas chez eux et celui qui en tient lieu jouit en fait d’immenses privilèges qu’il cache derrière un dénuement factice rassurant en fait toute la communauté. Il est en permanence couvert de cadeaux). Leur débat sur l’Inconnaissable tourna vite court puisqu’il me demandèrent de prêter ma silhouette, mon visage et ma disponibilité à l’objet de leur curiosité. Au début, je fus harcelé de questions sur le dehors mais je compris vite qu’il me prenaient pour un affabulateur. Beaucoup partirent au bout de quelques minutes et je m’aperçus bientôt qu’un seul bébé braillait parmi des chaises vides. Encore soupçonnais-je les parents naturels de l’avoir privé de déjeuner de façon, vous l’aurez compris, à éviter le silence intégral. Peut-être l’ai-je suggéré plus haut, ils ne supportent pas ce qui vient de l’extérieur et sans la nécessité de l’unité en tous genres, je me demande s’ils ne seraient pas escamotés eux-mêmes, tant leur intolérance est profonde et obstinée.

Franchir le seuil du territoire des alburarismis ! Un récit aventureux de Bernard Teulon-Nouailles avec Magazine Aléatoire.

Les alburarismis n’ont pas à proprement parler de dieux puisque la mort de l’un induit nécessairement la naissance de l’autre et qu’ils sont persuadés que leur âme transmigrera dans celle du nourrisson. Leur sexualité est franche, bestiale dans les gestes et imperturbable quant à la physionomie. La puberté donne lieu à une grande fête durant laquelle le nouvel initié a la possibilité de s’accoupler avec chacun des membres de la communauté y compris au sein de ce que nous appellerions une famille, notion qu’ils réduisent à quelques indications fournies aux enfants de sorte qu’ils observent les offices à accomplir dans un plus ou moins proche avenir. Rares sont cependant ceux qui dépassent les 9 étreintes. Mais moralement ils sont satisfaits sachant la partie remise, fût-ce une seule fois par jour. Leur seule règle : celle que leur impose le nombre, facteur d’équilibre et qui incarne à leurs yeux la perfection. Je les soupçonnais toutefois de pratiquer la sélection naturelle (sans cela d’où viendrait cette viande qu’on retrouve immanquablement dans le ragoût obligatoire du 9e jour et qui n’a vraiment ni un goût d’épagneul ni de lévrier ?) et d’éliminer les enfants susceptibles de s’avérer de futurs semeurs de trouble (pour ce dernier point, les débats suffisent).

Dès le mois prochain, Tout l’art des alburarismis, épisode 5.

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Quand il n’est pas critique d’art, animateur de revues, critique littéraire, enseignant, Bernard Teulon-Nouailles confectionne des textes incisifs, ciselés comme autant de poèmes, romans, chroniques ou essais… à la langue saisissante et précieuse.

Tout l’art des alburarismis est paru à l’origine en 1990 sous le titre Prétexte à la manière de… (IV) dans Le Chat Messager nº 6 sur le thème de « L’oubli », revue annuelle de littératures contemporaines dirigée par Christian Miehé.

En savoir plus : bernard-teulon-nouailles.fr

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Texte : Bernard Teulon-Nouailles — Images : d’après Georges Bruhat, Cours de physique générale, Masson & Cie éditeurs, 1944.
12/2025

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