Percale-vinalon

Renata préfère ne pas

« Et j’étais toute contente à l’idée de partir comme ça pour je ne savais pas où, C’est beau la vie, je pensais, c’est beau comme une fête, et personne le sait que c’est si beau. »

Renata est l’un des plusieurs prénoms que donne Catherine Guérard au personnage omniprésent de son deuxième roman, publié en 1967. Dans celui-ci, une femme quitte sa « situation » et devient « domestique repentie » : « une libre ». Cette femme se départ de toutes obligations et décide de regarder à distance le théâtre des humains engoncés dans leur vie quotidienne répétée, docile et insensée. Elle se délecte des oiseaux, surtout pas des pigeons, non, mais des véritables êtres ailés, à commencer par les moineaux. Elle jouit de recevoir la pluie sur sa peau alors que tous et toutes se réfugient sous terre ou sous plafond. Elle apprécie de s’asseoir sur les bancs alors qu’hommes et femmes se précipitent vers ce qui les tient. Elle porte quatre paquets ambigus – les dernières affaires de son monde d’avant –, qui l’encombrent et l’accompagnent. Elle doute mais s’arrange d’eux pour ne pas qu’ils deviennent les derniers poids ayant une emprise sur elle. Trois jours durant, elle arpente Paris, en particulier, ses avenues boisées de frênes, des arbres qu’elle affectionne particulièrement. Puis Renata part.

Le regard de Renata sur la vie se révèle particulièrement irrévérencieux. Son attitude est indomptable, revêche et étanche à toutes interpellations d’autrui. Elle ne répond pas aux questions et n’entend pas davantage les sollicitudes afin de se prémunir de toutes formes de normalisation. « Il vous faut bien de l’argent ! » « Qu’allez-vous mettre dans votre assiette ? » « Comment vivrez-vous sans toit ? » Alors Renata fuit, injurie parfois les « nouillards » et, seule, trouve une issue aussi émouvante qu’incertaine parmi les arbres, palais de ses chers oiseaux.

Tourner, tourner… comme un théâtre des humains ? Chronique de Paul de Sorbier sur « Renata n’importe quoi » de Catherine Guérard, pour Magazine Aléatoire.

La structure narrative de Renata n’importe quoi repose sur une longue phrase, au langage familier, ponctuée de virgules ardentes et de majuscules dignes. Dans cette unique élan de cent-soixante-dix pages, nul point au risque d’asservir ou de dicter. La phrase doit incorporer de l’air et des entrebâillements pour toujours offrir un aiguillage à ce personnage qui refuse les portes et, plus globalement, réfute tout interdit. Ici, la langue se montre mouvement et fugue. La présence de lettres majuscules, quant à elle, agit comme un « anoblissement » et donne de la puissance à la solitaire et errante Renata. « […] et j’ai pensé Alors leur vie ne leur appartient pas, ils obéissent au temps, et j’ai pensé Moi je suis mieux qu’eux ma vie m’appartient, je n’ai pas un patron qui possède ma vie, c’est horrible ça, j’ai pensé, d’avoir une vie qui n’est pas à soi, C’est des fous les gens, j’ai pensé, pour avoir de l’argent, ils vendent leur vie à quelqu’un d’autre, comme si on vivait mille ans, comme si on vivait deux fois […] ».

Tendrement organisées dans l’un des quatre cartons, « les lettres de Paul » constituent le bien le plus précieux de Renata. Pas un mot ne donne de précisions au sujet de ce personnage masculin, aucun élément biographique ne sourd. Paul est seulement un prénom. Il reçoit l’affection sans borne de Renata et est bien le seul. Elle prendra soin de protéger les lettres de la pluie tombant en abondance. Elle rêvera de lui en espérant le retrouver au hasard de la vaste ville. Existe-t-il vraiment au fond ? Est-il à l’origine de la décision de Renata ? Impossible à dire. La nature du lien unissant ces deux êtres est une matière à spéculation qui permet tout au moins de révéler une Renata tendre et attachée à une particule humaine du vaste monde.

Ce qui fascine à la lecture de ce livre, son « tour de force », c’est qu’il existe pleinement tout en ne créant aucune complicité avec le lecteur ou la lectrice. Il ou elle ne reçoit pas davantage que les presque riens que donne le personnage principal à son environnement dans sa volonté éperdue de liberté. Renata ment à tour de bras pour échapper à l’attente de l’autre. Elle se dit tour à tour Toulousaine, Bretonne, Parisienne ; elle déclare aussi se nommer Adèle. La langue du livre, très typée, populaire, agit au fond comme un écran. Elle camoufle la rédaction d’un manifeste libertaire par une auteure qui disparut du faisceau médiatique. Renata fuit et Catherine Guérard la suit. L’avènement au monde de ce livre s’accompagna de la disparition de son auteure. Enfin, non, elle ne disparut pas. Elle décida d’un ailleurs radical, celui de sa liberté de nous, pauvres lecteurs et lectrices. Et quelque chose de son désir littéraire échappera à jamais.

Une dernière chose, la liberté totale, ramenée à une personne, c’est extrêmement dérangeant. Elle implique l’absolue singularité d’un être et son irrémédiable solitude. C’est d’autant plus dérangeant si cet être franchit le rubicond et – même bien intentionné et avec une profonde candeur – s’attelle à appliquer aux autres ses propres choix, quitte à transgresser, quitte à recourir à un rituel du feu…

Catherine Guérard publia d’abord un court récit intitulé Ces princes. Son deuxième et dernier livre, Renata n’importe quoi, parait en 1967 (réédité en 2021 aux Éditions du Chemin de fer) et concourt pour le Goncourt. Et puis l’étoile a filé. Catherine Guérard choisit de vivre librement, à l’écart.

Paul de Sorbier. Vu de loin, quoique grand de taille, il ressemble à peu près à tout un chacun ; vu de près, comme pour tout le monde, c’est plus imprécis…

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Texte : Paul de Sorbier — Image : Place Charles-de-Gaulle, Paris, 1961, Fortepan.
02/2023

Et puis…

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