Percale-vinalon

Max, Rose, Stéphanie et Félix

1
Le roman Au piano de Jean Echenoz « condamne » un personnage à une peine de transformation. En tout point conscient de là où il vient, Max devient autre, change de statut social, de profession, d’identité. Il ne s’en étonne pas et l’accepte avec normalité – avec la normalité du spectateur qui voit défiler une narration écrite par un autre. Selon un pathétisme sec, cette métamorphose le fait partir, au plus loin, pour le faire revenir exactement d’où il était parti (Rue de Rome à Paris). C’est dans son ancien territoire du quotidien qu’il en produit un nouveau. Max connait l’intégralité de sa précédente vie mais à la manière d’un enregistrement, d’une archive. Aucun regret n’est manifesté, aucune frustration n’émane de lui. Comme si, à ne faire qu’accompagner sa propre vie, nulle mémoire était produite. La seule destinée serait alors de changer de peau, de personnage. C’est la réincarnation des fantômes, la réincarnation version l’aujourd’hui et l’ici de l’Occident.

2
Max se réfugie dans le souvenir de Rose tout au long de l’évocation des deux états qu’habitent son corps. Cet émoi de jeunesse, enfoui, est une forme de ligne de vie étrange. Pas grave d’avoir perdu Rose, dès lors que son évocation procure un soulagement, apporte une médication personnelle quasi panacée.

3
Récemment, j’ai envoyé un courriel à une connaissance. Stéphanie. C’est son homonyme qui m’a répondu. Cette personne m’a alerté de mon erreur tout en débutant sa courte missive par un remerciement pour le message que je (ne) lui avais (pas) adressé. Troublant. J’ai alors pensé à Max. Peut-être aurait-il pu lui aussi envoyer des mots en utilisant des adresses de sa pure invention, des « nomprenom@gmail.com » fabriqués. Il obtiendrait quelques réponses. Elles ne diraient rien mais lui seraient néanmoins bien suffisantes.

4
Jean Echenoz a écrit d’autres livres bien sûr. Le personnage principal du roman qui lui a donné le Goncourt, lui aussi, n’échappe pas à la fatalité de la boucle. Félix a beau expérimenter l’ailleurs pur – le Grand Nord –, il revient d’où il est parti. Un pavillon de banlieue. Les mêmes mots ouvrent et ferment le roman, ceux du titre : Je m’en vais.

Une expédition en Antarctique, un iceberg énigmatique, une chronique de Paul de Sorbier parue dans Magazine Aléatoire.

Jean Echenoz. Auteur créateur de machines littéraires, de romans fondés sur un art de la narration. Des sujets épars, inattendus parfois, se retrouvent tissés en un même récit par l’entremise d’une forme de funambulisme jouissif. Cela commence, explose, circule en tous sens mais, toujours, cela tient.

Je m’en vais et Au piano sont parus aux éditions de Minuit en 1999 et 2002.

Paul de Sorbier. Vu de loin, quoique grand de taille, il ressemble à peu près à tout un chacun ; vu de près, comme pour tout le monde, c’est plus imprécis… 

Lire aussi : Renata préfère ne pasLa chute des motsDes mains pour allumer la mèche — Deux hommes et un troisième, petit, mort — Smith et Baptiste

Texte : Paul de Sorbier — Image : Ship Sy Discovery Near an Iceberg, Banzare Voyage 2, Antarctica, 1930–1931. Museums Victoria.
08/2020

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