En petite série

289 #4

De quelque chose

De quelque chose, une petite chose de quelqu’un à quelqu’un. Dans le sac, une odeur de moisissure enfouie dans la doublure s’incruste. Elle se fiche dans mes narines. Elle persiste. Irrémédiablement. Elle me suit et me poursuit depuis. Une infection. Je n’en peux plus. Elle pue. Une conversation un soir, assise dans un fauteuil de velours rouge. Le verre de vin rouge s’emplit et se vide face à la fenêtre. Dans des volutes de fumée circonscrites une voix féminine flotte et se propage. La pièce est fraîche. On se raconte des choses. Le temps a passé. Un peu. Un dernier coup de fil. Des avis sont demandés et donnés. Les échanges sont fournis. Les commandes sont effectuées, balais serpillère, jupe pour l’été. Les déplacements possibles sont à venir. Je n’ai pas peur. Pas encore. Deux fois. 4 lettres à écrire. Chacune deux fois. Comme le mot fini. 4 lettres, 2 points, deux i. Éparpillées, les courbes se perdent dans un tapis noir que je n’ai pas vu. Pas encore. Une surprise m’attend. Des motifs se profilent à mes pieds et alentour. Le poil est doux et brillant. Son sourire aussi. Une sensation futile et sensible contre la peau. Une répercussion soudaine. La lueur aiguë pointe au centre de ses pupilles comme un disque noir muet qui tournerait sans jamais discontinuer. C’est comme une engelure. Une engelure dans les yeux. Elle traverse sans peine cet horizon noirci. Une déchirure rose au loin. Le ciel est sale perdu dans les nuages. Je vais les laver. Un peu de savon déposé à la surface de chacun. Une caresse sur les yeux. Paupières closes. Des bulles, de l’eau, du savon. Le geste est appliqué. Doucement et délicatement durant longtemps. Quelques minutes, quelques heures, quelques jours passés sous l’eau froide. En transparence, une image, une image floue, celle d’un fantôme. Tremblante et persistante. Le fantôme est perdu sans sa capuche. Le souffle est court, l’air est printanier et piquant sur sa nuque. Au bord du lac les parois humides du tunnel suintent sans jamais discontinuer. Branlantes et glissantes. Des saveurs dites entre les lèvres, des souvenirs, des soupirs, des rêves maintenus. Des mots, des lignes, des lettres annotées, émargées, effacées. Le tunnel est d’or comme le poème en or. Partir. Partir loin. De balade en balade. De coin en coin. Les yeux fermés, tapie dans l’ombre, le temps est tard, la nuit est noire, le bruit est blanc. Je n’ai pas peur. Pourquoi je commencerais ?

49 grammes

Elle est revenue. Page 644. Sa main relâche son visage et disparaît dans une fumée noire. La tempête semble se ralentir, s’apaiser. Tu te souviens. Là-bas. Jamais. Jamais elle n’y retournera. Page 411. C’en est fini. Ce soir. Cette nuit. Le seul meuble qui reste est un fauteuil, posé au centre de la pièce. Blanche. Une petite fissure se crée, agrandie ce jour-là. L’espace autour se met à vibrer. Les ombres se courbent. Une seulement se diffuse au bout des pas. Sur le tableau noir, trois lignes écrites à la craie. Lentement. Longtemps. Après-demain. Avec indolence. C’est important. Plaquée contre la paroi, la planche est nue et se consume. Silence et souffle glacés sont aspirés. Un mauvais tour déjoué. Un coup frappé. Un sorbet réfrigéré. Sucré et acidulé. L’assiette est vide. Figés dans un carton, une paire de gants. Les voix se taisent, le goût aussi. Le goût de velours, de velours rouge du fauteuil rouge en velours, dans la bouche. Un matin plus rien. Ça pue dedans, ça pue dehors. Ni courant, ni vague. La porte claque. Quelqu’un ici. Quelqu’un dans un trou. Un trou. Un trou dans la tête. Page 33. Les dix dernières pages sont détachées. Elles tombent. Les feuilles se cassent. Endormi sur son banc, l’étau se resserre. On ne devrait pas le remarquer. Capuche déployée. Un pas de côté. Un pas chassé juste. Des deux lacs, les mystères se sont tus. Étouffés. Surface contre surface. L’une et l’autre glissent et se pénètrent. Se confondent et se répondent. De haut en bas et vice versa. C’est fragile comme le mot sur l’étiquette du carton. Encollée. Mal collée. Un carton. Cent cartons. Cent verres. Une clause. Des pas dans le couloir. Le corps se soulève. Se servir du mur. Penser. Plaquée contre la paroi, l’ombre se dévoile. Tu te souviens. On ne devait pas le remarquer. Endormi. Il incube. C’est comme ça. 49 grammes. Un liquide, un dégradé. Du bleu au blanc, du blanc au bleu. Une lettre. Une union. Deux traits qui se croisent en creux. Directions interrompues. Un flacon, une pression. Il ne peut pas dire. Sous haute tension, le geste est accompli. Dans les arbres, le chien n’a qu’un œil. Un œil droit. Assis, il repose et fait face. Feux dans la tête. Phares dans les yeux. Ce soir le ciel ne sera pas. Les visages seront à même. Les feuilles lavées. Les nuages dansent. Gouttelettes après gouttelettes, la nuance s’abandonne. Profonde et poudrée. La tâche bleue passe dans les yeux. Elle cligne. Bien dressée. Le point a disparu. La carrosserie métallique dégouline, rutile et claque. Grain 400. 12 000 tours. La tête s’emballe. Le système se complète. Un ponçage à sec. Poussières aspirées. Tuyau flexible. Plus couvrant et plus dur. Le charme d’un parfum léger se propage à contresens. Le carré est blanc couché sur la table. Finition 0000. 11 dedans. Rondes et pleines. Tendres et lumineuses. Elles papillonnent et tourbillonnent à rebours dans un aimable désordre en forme de cœur. La barque barbotte sous les branches. Maintenue. Camouflée. Onctueuses, les 11 se hissent et rigolent bien. Une cuillerée. Une bouchée. Le ton est soutenu. Teinte Crème Carmin.

Bruit blanc

L’impression troublante de marcher sur une boule perdue sous le ciel bleu d’un bleu profond. Docile, ductile et câline. L’eau est douce. Il la regarde d’un œil rond. Elle le vit, rit et plongea. Plongea dans ses yeux. Un par un. Tout allait bien. Elle le sentait au-dedans et au-dehors. Du bras gauche il se mit à tirer sur l’eau. Leva le bras droit et se laissa glisser derrière elle. L’eau tiède coula sur sa joue et son cou. Elle sentit l’eau monter et descendre, descendre et monter. Invariablement. L’espace devenait le même. La matière devenait la même. Le moment devenait unique. Lentement. Doucement. Longtemps. Le nuage s’enfonce sur la cime. Instantanément. La cime s’enfonce dans le nuage. Vertigineusement. Le sachet de thé infuse au bord du bac bleu. Blottis dans un coin. Les secrets sont tus. N141. Une accélération tendre se fait entendre. Un bruissement. Un tournoiement. Les oiseaux sont revenus. Ils chantent et dansent. Il est temps de renverser la table. 44 %. Quelques jours passés. Un jardin suspendu. Une jolie vue. Une jolie vision. Dans la chambre les cubes sont en béton. Grain 220. Surfaces nettoyées. Traces effacées. Méticuleusement. Les roses par trois papotent dans leur bocal. Il y a quelque chose de coincé. Dedans. Un objet égaré. Quelque chose. Quelqu’un. Quelque part. Trois culs dans le trou d’eau de la flaque dans la barque au bord du lac. Ailleurs. Tout est bleu, le ciel, les nuages, les visages, les lèvres. Faire le tour du lac en criant. Deux fois. Faire le tour du lac en courant. Onze fois. Courir entre les branches en chemise blanche. La chemise est tâchée, une tâche sur la nuque, une tâche sur les doigts. C’est maintenant. Le corps couvert sous le drap. Écorché le bras saigne. Tôt ou tard les yeux se sont ouverts sur le noir des routes barrées, sur la tôle rouge de la porte rouge de la petite maison rouge en tôle ondulée. Aussi petite qu’une rose bloquée entre deux buissons ronds. Pourquoi celle-ci et non celle-là. À l’ombre les pensées tournent à vide. Le renard détale. Piège refermé. L’eau partout autour des yeux comme si la terre avait bougée. Les toits pointus ont disparu. Le crissement soudain est assourdi par le bruit assourdissant de l’eau. Dessous. Elle respire. Silencieusement. À chaque bouffée aspirée la viande fume dans la feuille de chou roulée. Tout est si bien fait. Tout est si précis. Le chou à la crème. La tarte à la crème. La tarte dans sa gueule. Une puis deux. C’est beau. C’est bon. Onctueusement. Pauvre petite chose. Dénudées et croisées. Les chevilles ont lâché. Sensiblement. Il n’avait plus que quelques mots en bouche. Un semblant de silence. Une peine perdue dans sa tête de fou. Le loup est dans les bois. Un nouvel endroit. L’œil gauche fixe l’œil droit. De biais. L’œil droit surpris l’œil gauche. Immobile. Le temps file comme les cadavres sur la table. Invariablement. L’ensemble est mouillé. Jupe et chemise en popeline blanche assorties pataugent. Délicieusement. Les verres tintent, les bulles s’échappent et éclatent au bout des doigts. Les bons baisers sont décrits, effleurés puis s’évaporent et se périment à une date annoncée. Il portait ça en lui. Le goût du sang. Attendre, flairer, traquer, tuer. Sentir la chair encore chaude. Celle de sa proie. Jamais il ne cessera. C’est un chasseur. Un dernier regard, un dernier sourire. L’un part, l’autre reste. Les mains s’agitent au bord du quai. Le compte à rebours a commencé. Il faut fuir la fête est finie. Compartiment 8. Il oscille. Il se tait et avance entre les dents rouillées de la mâchoire grinçante et carrée. Posée-là. On l’appelle l’autre. On est un con. C’est connu. C’est attendu. Le mot raisonne. Le charme de la ruelle s’est rompu. Des queues partout. Des queues dans leur tête surtout. Les queues ont dévoré leurs pensées. Grippées. Graveleuses. N’ont-elles jamais été. La bête est dans les bois. Flasque. Elle pue. Elle ne passera pas. Pas par-là. Plus par-là. On a dit. C’est dégueu. Comme le melon, le rosé et les tongs. Ca pue. C’est dégueu. C’est moche. Trois C inscrits en majuscule s’agitent debout dans son cul. Le corps a bleui depuis. Nu comme le ventre de la petite enveloppe reçue. Contenu confus. Bleue bombée. Nuages en l’air. Fleurs à terre. Les éléments sont ordonnés. Ne jamais dépasser. Une injonction. Ne jamais sortir du trait. Incisé. Le point encré est collecté. Daté. Archivé. 77 %. 17:27. Le loup se terre dans sa grotte sans porte. La nuit tombe. C’est mieux. La scène est éteinte. Les pneus crissent sur les cailloux blancs. En angle droit le virage file à gauche. Le bout des ponts est révélé. Lettres blanches sur fond délavé. L’aire est prise. La sortie est tardive. La clope est fumée. Trop vite. Aire des champs d’amour. Une habitude. Kilomètre inconnu. D929. D655. D524. D22. D2. D1. 21:53. Yeux au ciel. Les nuages sont taillés. La robe cintrée est ajustée. Le rôti est ligoté. La vitre est brisée. La piste abandonnée. Le fauteuil basculé. Le vase démantibulé. La porte claquée. Le poisson dévoré. L’ordre bouleversé. Quelque part la neige tombe sous les pas. Quelque part quelqu’un dans la foule. Quelqu’un à quelqu’un. Un presque rien. Un rien. Les deux volets sont scellés. Le temps est reporté. La robe ne sera pas tachée. La pomme ne sera pas croquée. La forêt ne sera pas perdue. Ni brouillard, ni stroboscope. Pas encore. La ligne est blanche et droite. La feuille est repassée et pliée. La table est dressée. La bouche est dessinée. Partout la nuit. On entend le bruit de son ventre qui glisse et râpe. Lentement. Il est là. De dos. Il rôde. L’œil brille à la surface de l’herbe sèche. La pente est douce. La comptine est chuchotée. Les paupières se ferment. Paisiblement. Les cerises endormies plongent dans l’obscurité. L’eau s’écoule. Les formes disparaissent. 11 %. Trois tours couchés sur le côté. L’air s’engouffre dans sa gorge. Un sifflement léger. Un bruit blanc. Un léger frisson. Plus loin. Encore plus loin. Deux petits nuages émergent de la terre liquide à pas de loup. La mécanique bourdonne. Elle est invisible. Elle sommeille. Elle flotte dans la tête comme un clou.

Une étrange lumière rose, accompagnant une série de textes de Caroline Pandelé, édités par Magazine Aléatoire.

Caroline Pandelé convoque, dans le désordre : coïncidences, intimité, fragilités, fragments de vies, mémoire, narrations visuelles, captations photographiques ou sonores… dans l’ordre : une œuvre. L’enveloppe mince de nos existences sensibles. Caroline Pandelé, artiste, vit et travaille. 

En savoir plus : www.carolinepandele.com

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Texte et image : Caroline Pandelé.
03/2021

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