La chute des mots
Partout le feu, d’Hélène Laurain, ne remplit pas les lignes. Le geste littéraire brûle la partie droite des pages. Cette partie droite est vierge, abandonnée, une étendue d’absence. Les mots ont des pulsions. Ils sautent, ne tiennent pas en place. Ils cherchent l’après, la suite. Il poursuivent un dessein, se ruant vers un climax à venir. La gravité est le sujet de chacun des mots du roman. Les mots écrivent la gravité d’un personnage révulsé par un monde où les espèces disparaissent, où l’atmosphère est déjà quasi irrespirable et où l’on ne fait que regarder ailleurs, en l’air, au plus loin de la terre. Les mots sont aussi les sujets de la gravité au sein de l’espace des pages blanches. Ils y sont propulsés toujours plus bas. Un destin est à l’œuvre, inexorable. Ce destin, celui du personnage principal, se façonne strate après strate de mots, plateau après plateau de mots. Il n’y aura usage d’aucune majuscule ni d’aucune ponctuation pour celui-ci, un flux nous y conduit. Obsessionnellement, au gré d’une écriture de quelques filets de mots enchaînés, l’autrice et le lecteur cheminent vers un vide.
« […]
je respire
personne dit rien
et on les voit au loin
les silhouettes
sales même la nuit
des tours de refroidissement
sabliers doux
et la fumée
toujours
[…] »
La perspective du feu est annoncée dès le titre de l’ouvrage. On ne le voudrait pas (parce que l’on s’attache) mais nous savons qu’il sera. Partout, il s’impose, à commencer en la narratrice qui s’isole de ses proches et s’enfonce dans une certitude radicale : il n’est plus possible de rester assoupis à l’aide du décompte moutonneux, renouvelé chaque jour par les storytellings dominants. Le feu est autour, la vie est salie, elle est un paysage de dégâts. Quelle place pour la dissonance, pour les effrayés de l’inaction collective en faveur de la terre en commun ? Fatalement, un Feu contre les feux devient la seule issue.
Paul de Sorbier. Vu de loin, quoique grand de taille, il ressemble à peu près à tout un chacun ; vu de près, comme pour tout le monde, c’est plus imprécis…
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06/2022