Long cours
Tout l’art des alburarismis
Un récit aventureux de Bernard Teulon-Nouailles. Épisode 1.
Avant de me laisser franchir le seuil de leur inénarrable territoire les alburarismis procédèrent sur ma personne à toute une série d’expériences qu’il me sera malheureusement impossible de toutes me remémorer.
J’avais dû, au préalable, absorber un breuvage verdâtre, insipide et inodore (me semble-t-il !), censé me transporter directement chez eux sans passer par les frontières qu’on dit naturelles. En fait, il n’existe pas, du moins à mon avis, de préposé au poste de douane chez ces insulaires jaloux de leur excentricité.
Quelque ramasseur égaré de champignons comestibles glissera sans doute un œil indiscret vers la fenêtre cornée par où d’étonnants étrangers observent son manège, la main à visière obscurcissant davantage le visage de bois brûlé. Gare à ceux-là qui, la plupart du temps, n’en reviendront guère !
On ne le confie pas comme ça, nous autres, le grand secret ! m’a précisé un assassin notoire d’indésirables curieux. Un peu de poudre à mort sur les inoffensifs cryptogames et voilà la chair à blabla qui plonge toute une famille dans la désolation médiatique.
Quant aux chiens des chasseurs, ils ne peuvent les sentir. Ils les attirent avec un appeau canin de leur invention et les empalent dans un fossé recouvert aussitôt de fumier. Car ils adorent les gros légumes.
Mais si vous n’avez pas votre bissac en bandoulière ni quelque vil flatteur de la japtance pour exercer votre stérile autorité, surtout si votre tête leur revient, ils vous subjuguent à force d’aménité, avec des gestes amples et circulaires en de longues expirations incantatoires les obligeant à gonfler les joues d’air filtré dans leurs pompes rudimentaires à oxygène (il parait que ça marche !). Une jeune vierge, plus exactement « LA » vierge alburarismienne, porte inopinément à vos lèvres, dans une coupe d’un métal nouveau, le fameux filtre sans goût qu’ils nomment liqueur de l’été bien qu’ils la fabriquent en toutes saisons. J’ai pu vérifier, passé mon bref séjour chez ces drôles de citoyens neutres, qu’il me manquait un billet pour l’essence hebdomadaire. S’agissait-il du prix à payer pour la passe ? J’en doute à cause des deux zéros. Mais c’est vrai qu’à mon retour, dans l’antichambre de mon psychanalyste…

Distinguons bien les alburarismis authentiques des contrefaçons ou plutôt des anciens exclus pour vénalité ou déviation publicitaire.
Ces derniers semblent si naturels qu’on tombe dans le panneau de leurs tartufferies discursives ou de leur ballet aéré. Une petite erreur d’appréciation et vous voilà privé d’une somme peut-être patiemment amassée à force de cours particuliers, d’épreuves négrières, de privation tabagique ou de fraude de troisième ordre.
Avant de trouver cet improbable climat, j’ai essuyé un premier refus des plus humiliants malgré la somme rondelette (façon de parler puisqu’elle ne comportait que des chiffres de 1 à 9) qui emplissait ma sacoche usuelle. En vérité, ils utilisent de prétendus bannis dont la mission consiste à décourager les stupides, notoires ou intéressés. Un promoteur par exemple, n’a aucune chance, sinon de se faire délester, évitant les excès diététiques promis aux comparses impliqués dans tant de ténébreuses affaires.
La deuxième fois, j’eus effectivement l’heur d’ingurgiter leur précieux breuvage mais comme je répondis à une question perfide que je ne lui trouvais aucun goût, je m’attirais maintes railleries auxquelles je sus répondre par les actes de mon obstination.
Bref, un matin j’entrai chez eux, comment je ne saurais le dire mais je ne désespère pas d’éclaircir quelque jour ce mystère.
Dès le mois prochain, Tout l’art des alburarismis, épisode 2.
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Quand il n’est pas critique d’art, animateur de revues, critique littéraire, enseignant, Bernard Teulon-Nouailles confectionne des textes incisifs, ciselés comme autant de poèmes, romans, chroniques ou essais… à la langue saisissante et précieuse.
Tout l’art des alburarismis est paru à l’origine en 1990 sous le titre Prétexte à la manière de… (IV) dans Le Chat Messager nº 6 sur le thème de « L’oubli », revue annuelle de littératures contemporaines dirigée par Christian Miehé.
En savoir plus : bernard-teulon-nouailles.fr
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Texte : Bernard Teulon-Nouailles — Images : d’après Georges Bruhat, Cours de physique générale, Masson & Cie éditeurs, 1944.
09/2025