La photographie en couleur
Elle n’y tenait pas. Si réservée habituellement, comment aurait-elle pu céder à la première occasion ? Pour l’été, pour le chant des cigales ? Non ! Pour rien au monde…
Mais il y avait l’air brûlant, l’enivrante odeur des pins, une petite herbe piquante et jaune, si inflammable : un jour d’assomption pour comprendre ou aimer Cézanne, avec le ciel gris-bleu, une luminosité si forte qu’elle avait dû se réfugier sous les arbres, protéger ses yeux et se reposer un instant afin que tout s’arrête de tourner ainsi.
Les jambes si faibles ne la soutenaient plus. Les flammèches des cyprès au loin montaient à l’assaut des collines et l’air dansait, rendant toute chose imprécise et diffuse, comme l’émotion qui la gagnait.
Le vent s’était levé sous les pins, avec de grands bruissements d’aiguilles sèches. Le sol en était tapissé, laissant peu de chance à la végétation, mais à quelques mètres de là des pans entiers de terre rouge buvaient à longs traits l’air chaud entre les vignes généreuses.
Il était revenu le sourire aux lèvres, une grappe dans chaque main, lui criant qu’il s’était perdu dans les clos de Dionysos.
Les raisins étaient sucrés, encore chauds et vaguement… Elle n’avait pas trouvé le mot pour l’exprimer.
C’est en regardant cette photographie qu’elle avait tout compris. Elle ne souriait pas encore, ou bien elle ne souriait déjà plus, comme il l’aurait souhaité. Malgré la traîtrise du mois d’août, elle ne regrettait pas sa robe verte à pois blancs, sa robe éolienne sur les jambes nues.
Mais les années avaient passé pour ternir ce moment-là, pour lever cette parole d’ombre.
Elle n’irait plus jamais là-bas se détruire, dans la garrigue embaumée.
Figure (é)mouvante.
En 1999, il y eût cette pluie de mots éparpillés sur la page, tombés d’on ne sait où…
Et maintenant il y a en bon ordre sur cette plaque mon « ridiculum vitae » : B. G. né en 1948 – mort en… Une question reste une question, mais Dieu merci, le ridiculum n’a jamais tué personne.
Pour Aléatoire, « pour aller à toi Relecteur inconnu. Pour aller à Toire, ce pays où l’on arrive jamais ».
L’ouvrage de Bruno Guittard, Figures mouvantes, recueil de cent courts textes accompagnés de dessins originaux, est paru initialement aux éditions Le Capucin en 2000. Pour Magazine Aléatoire, extraits choisis.
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Textes et image : Bruno Guittard.
07/2022
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