Long cours

Tout l’art des alburarismis

Un récit aventureux de Bernard Teulon-Nouailles. Épisode 3.

Avant de me laisser franchir le seuil de leur inénarrable territoire les alburarismis procédèrent sur ma personne à toute une série d’expériences qu’il me sera malheureusement impossible de toutes me remémorer.
J’avais dû, au préalable, absorber un breuvage verdâtre, insipide et inodore (me semble-t-il !), censé me transporter directement chez eux sans passer par les frontières qu’on dit naturelles. En fait, il n’existe pas, du moins à mon avis, de préposé au poste de douane chez ces insulaires jaloux de leur excentricité.

Chaque habitant du pays des alburarismis assume plusieurs fonctions sociales : un qui fait la cuisine à la graisse d’artiste allemand occupe tour à tour huit professions utiles à l’intérêt communautaire de ses compatriotes : précepteur d’arithmétique élémentaire (seuls les tribuns peuvent enseigner au-delà), chirurgien-visagiste-perceur d’oreille droite (ils ne font jamais percer l’oreille gauche – allez savoir pourquoi), joueur de pique en chef (les distractions abondent et la loi impose de s’y adonner au moins une heure chaque jour, en tous cas selon « leur » jour), écrivain public (sans public en fait mais tout alburarismi est ainsi certain de recevoir au moins chaque jour une lettre – ils y évoquent en particulier les naïves questions du visiteur du dehors – toujours un seul à la fois), blasphémateur de la pleine lune (ainsi chacun assure la fonction de prêtre le temps que dure son obligation de services aux 9 offices en ces lignes recensés), sage-homme pour bébé mâle (les sages-femmes sont réservées aux bébés femelles, le sage-homme alors rentre immédiatement chez lui), vigile au bord des fenêtres trompe‑l’œil (pour les chasseurs et autres ramasseurs d’asperges sauvages si délicieuses en omelette baveuse), enfin comme on l’a vu plus haut accélérateur d’avortement (mais à ce sujet ils gardent le plus profond silence, faisant des gestes vagues laissant entendre qu’un tel secret se perd dans la nuit des temps). Les alburarismis ont ainsi recensé un certain nombre de métiers ou occupations limitées, correspondant à leurs besoins fonciers et proportionnels à leur nombre.

Franchir le seuil du territoire des alburarismis ! Un récit aventureux de Bernard Teulon-Nouailles avec Magazine Aléatoire.

Une mauvaise langue au citron me souffle que mes alburarismis tirent leur existence de la croyance que les gens du dehors mettraient en eux (Autre absurdité. Façon de trahir la terrible amertume de ne savoir, même en payant, entrer). Ils se vantent au contraire de ne devoir leur existence qu’à eux-mêmes. Sans être d’une quelconque façon chrétiens, ils s’aiment tellement les uns les autres qu’aucun d’eux ne pourrait envisager l’absence d’amour. D’où un certain équilibre psychologique qui personnellement me terrifiait à tel point que j’en arrivais à me demander ce que je faisais là. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais rêvé d’habiter chez eux. Il y aurait toujours cette boue gluante qui leur colle à la peau entre nous, ces chaînes de regards pleins de bonté qu’ils se lancent les uns les autres en guise de salut et cette conception de l’amour libre contre laquelle mon individualisme narcissien se révoltait.
Ils sont impitoyables en revanche avec les étrangers, les Tousieux disent-ils.

Dès le mois prochain, Tout l’art des alburarismis, épisode 4.

Pas vraiment clair ?

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Quand il n’est pas critique d’art, animateur de revues, critique littéraire, enseignant, Bernard Teulon-Nouailles confectionne des textes incisifs, ciselés comme autant de poèmes, romans, chroniques ou essais… à la langue saisissante et précieuse.

Tout l’art des alburarismis est paru à l’origine en 1990 sous le titre Prétexte à la manière de… (IV) dans Le Chat Messager nº 6 sur le thème de « L’oubli », revue annuelle de littératures contemporaines dirigée par Christian Miehé.

En savoir plus : bernard-teulon-nouailles.fr

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