Rite de passage
Au bout d’un sentier tortueux, vous attendez le visiteur, protégé par une haie d’agaves. Avant toute chose, il est prudent de regarder l’autre à la dérobée, devinant sa bouche cruelle, arrogante. D’emblée il faut s’approprier le verbe et faire les salutations d’usage, car il dérobe tout ce qu’il peut en faisant des compliments, en vous qualifiant d’une appellation trop flatteuse.
Notre songerie, qui se pare de pièges à oiseaux, de becs en amulette, d’ailes de touraco, les imagine tout près d’un cercle de terre nue, durcie par le feu, pour une confrontation épineuse.
L’homme-serpent est sorti de son trou, il déroule à vos pieds les anneaux d’une humidité visqueuse. Il a tout le temps qu’il veut pour se décharger de sa haine sur la place brûlée de soleil. Pour donner le change, il se montrerait tout à fait jovial.
C’est pourtant un vieux gredin qui ergote, palabre indéfiniment sous l’arbre du mensonge, déballe ses ornements, ses perles de verre, ses bracelets en poils d’éléphant… A‑t-il tout dit, tout montré ?
Il n’a pas assez d’art pour vous conduire au domaine des imbéciles. Les petites bêtes qu’il avait apportées avec lui, une main noire les saisit par la queue et leur casse l’échine.
Au bout du compte, il ne peut cacher son trouble. Les veines gonflées sillonnent son front, car l’arbre kingo le retient et lui donne l’occasion de se dédire.
Pendant un moment, il balance sa tête d’avant en arrière comme pour se préparer à l’attaque.
Avec la rapidité de l’éclair il va cracher son venin, mais le complot ourdi dans l’obscurité du tunnel s’effondre tout à coup.
Sur sa poitrine, il sent peser une pierre si énorme qu’il ne peut s’en relever. Il entend d’abord le bourdonnement monotone, puis les trois coups fulminants : le « limdimi », le grand tourbillon de poussière, veille sur tout ce qui vit.
Respirant difficilement, il plonge sa tête dans la terre tranquille. Ce qu’il a omis de dire, il va le chercher dans les pierres murmurantes.
Si vous n’avez pas les mots, ils ne vous recevront pas parmi eux, les évènements s’abattront sur vous avec une rapidité surprenante.
Figure (é)mouvante.
En 1999, il y eût cette pluie de mots éparpillés sur la page, tombés d’on ne sait où…
Et maintenant il y a en bon ordre sur cette plaque mon « ridiculum vitae » : B. G. né en 1948 – mort en… Une question reste une question, mais Dieu merci, le ridiculum n’a jamais tué personne.
Pour Aléatoire, « pour aller à toi Relecteur inconnu. Pour aller à Toire, ce pays où l’on arrive jamais ».
L’ouvrage de Bruno Guittard, Figures mouvantes, recueil de cent courts textes accompagnés de dessins originaux, est paru initialement aux éditions Le Capucin en 2000. Pour Magazine Aléatoire, extraits choisis.
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Textes et image : Bruno Guittard.
03/2023
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