L’entrevue aéroplane

Flotter sans ombre

Sous un point de ciel indicible, sans peurs ni consignes… plisser juste les yeux jusqu’au quantique. Punaise, Michel Imbert, l’entrevue !

Magazine Aléatoire — Tu as levé les yeux ? 

Michel Imbert — Et j’y ai vu un ciel exempt de traînées blanches et je n’y ai pas vu les Perséides que les revues d’astronomie nous promettaient et je n’y ai pas vu la météorite dont on nous avait menacé, mais j’y ai vu des moustiques tigres, des punaises rouges (qui, paraît-il, viennent de Chine et nous bouffent nos bonnes vieilles punaises vertes), ah, les sales bêtes !

L’aérosol porte-il bien son nom ?

Porter son nom, ça veut dire pouvoir supporter son nom. Il faudrait demander à Eros si le « ol » qui suit lui convient.

Lorsque quelque chose est si rétréci qu’il n’est plus qu’un point minuscule, qu’en penses-tu ?

Un jour, j’ai passé un pull en cachemire (noir) de chez Benetton à la machine. Il avait si rétréci que les manches m’arrivaient au-dessus des poignets. J’ai voulu voir jusqu’où on pouvait aller, alors, je l’ai remis à la machine : les manches arrivaient au coude et la taille… n’en parlons pas. De même, quand j’étais petit et que ma grand-mère me faisait du chantage affectif pour que je l’accompagne à la messe, je prenais un prospectus à l’entrée qui contenait les textes des tubes qui allaient être entonnés avec ferveur pendant la cérémonie. Je froissais ce prospectus (une petite feuille en papier glacé aux caractères d’un bleu de Sainte Vierge). Je dépliais la feuille et recommençais, re-défroissais, refroissais. Au bout d’un certain nombre de renouvellement de cette activité répétitive, le papier perdait ses qualités de brillance, sa tenue et devenait tel un parchemin, une peau souple, et sa taille diminuait. Le texte devenait tout petit, tout petit. Les caractères pelucheux restaient encore lisibles longtemps, les chansons entraient petit à petit dans le monde quantique. Les mots étaient à la fois morts et vivants comme dans l’histoire du chat.

Une météorite fonce sur toi, tu connais les consignes ? Qu’en fais-tu ?

Hahaha ! Et le code de la route, alors ?

Si le ciel est dégagé, de quoi as-tu peur ?

Si le ciel est dégagé, j’ai surtout peur qu’il ne pleuve pas, par Toutatis !

Plutôt disciple ou indicible ?

Que pensez-vous de ce célèbre haïkaï, chers petits scarabées ?

Dans la jarre pleine d’eau
flotte une fourmi
sans ombre

Plutôt indicible, la sensation, non ?

Nous n’avons plus le temps. Tu veux quelque chose ?

Oui. Un gros gâteau à la crème. Ou alors, deux gros gâteaux à la crème. On désire toujours ce qu’on n’a pas et si on l’a, on se paye une indigestion. Je pourrais aussi dire que je veux du temps puisque nous n’en avons plus, mais je préférerais flotter sans ombre dans la jarre pleine d’eau.

Dans la jarre pleine d’eau
coule un gâteau
sans ombre

Un, deux, trois gros gâteaux à la crème ? L’entrevue aéroplane de Michel Imbert dans Magazine Aléatoire.

Michel imbert est artiste et auteur de romans publiés sous le pseudo Mi Jianxiu. « Chine », « niche » et « chien » sont des anagrammes. Il a choisi le premier comme cadre de ses ouvrages, quant aux deux autres, il y réfléchit encore.

On notera, parmi ses livres récents, La Diplomatie du panda, Pékin de neige et de sang, Marche rouge montagnes blanches ou En revenant de Tiananmen, parus aux éditions de l’Aube et Philippe Picquier.

Entretien : Paolo Golfino — Image : Maryna Khomenko, Unsplash.
11/2020

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