Figures mouvantes

Conseils d’ami

Vous n’aurez tout de même pas l’impudence de vous soulager ici de toute votre poisse dialectique ! Est-ce que je ne flaire pas un homme au nez pédantesque, est-ce que je dois rester en transit, dans l’antichambre, faire l’objet d’une réduction, être infantilisé sur le pas d’une porte au nom de votre cucuterie pointilleuse ?

Je vous répondrai par une orgie de sang-froid, je ne vais pas vous déballer ma valise, prendre la pose, faire le bouffon, vous envoyer des carottes pour recevoir du persil. Je n’ai pas les canines assez longues.

Mais que diable, j’ai parfois envie de tabasser quelqu’un plus qu’à l’ordinaire, un employé du ministère des Arts, par exemple. J’ai une jambe nerveuse, elle se lève toute seule la nuit pour aller botter l’arrière-train de ces messieurs et, comme il a le temps de mourir, mon ennemi juré se tord de douleur sur le tapis : c’est bien plus agréable d’assister à son agonie par le trou de la serrure.

Alors, comment est-ce que je m’y prends ? J’ai un ressort dans le mollet, un muscle dégoûté par le flasque, il se dilate un peu et pan : je lui envoie ça. Voilà, c’est aussi simple. Et pourquoi me direz-vous ?

L’appareil d’État martyrise le troupeau apeuré, bêlant de civisme ! Si vous attendez de votre prochain quelque joie subtile, provoquez-le !

Si vous ne vous amusez pas un peu, vous êtes fait comme un rat.

Suivez-moi bien : si un barbu verdoyant ou rougeoyant essaie de vous insuffler son idéologie, tapez-lui sur la gueule, jouez le rouge contre le vert, le vert contre le rouge, laissez-lui quelques bleus au passage.

Si vous appréciez la société, invitez un crapaud chez les grenouilles, proposez-lui une cigarette, et pof ! Il se dégonfle, c’est gras et répugnant…

Marchez sur la queue d’un petit chien, vous devinerez sans peine la nature de ses parents : des dogues. Pour rêver : enterrez une petite cuiller d’argent au pied d’un arbre, apprenez à vous taire longtemps, longtemps…

Pour jouer à l’amour : donnez un rendez-vous à une vraie jeune fille. L’affaire est dans le sac : elle vous jette un os, vous courez à quatre pattes, vous le lui ramenez entre vos crocs bien luisants. C’est très gratifiant.

Chut ! Cachez-vous derrière cet arbre, les voilà, ils vont s’embrasser mais ils s’y prennent d’une étrange manière ; ils ont besoin de vous, sinon ils ne se donnent pas tout à fait : de vrais acteurs.

Quant à vous, réglez votre comportement sur le mien, ne rentrez jamais tout à fait dans le jeu.

Aujourd’hui on ne peut faire confiance à personne, pas même à l’auteur.

Ne pas rentrer dans le jeu. Dessin de Bruno Guittard accompagnant sa série « Figures mouvantes » pour Magazine Aléatoire.

Figure (é)mouvante.
En 1999, il y eût cette pluie de mots éparpillés sur la page, tombés d’on ne sait où…
Et maintenant il y a en bon ordre sur cette plaque mon « ridiculum vitae » : B. G. né en 1948 – mort en… Une question reste une question, mais Dieu merci, le ridiculum n’a jamais tué personne.
Pour Aléatoire, « pour aller à toi Relecteur inconnu. Pour aller à Toire, ce pays où l’on arrive jamais ».

L’ouvrage de Bruno GuittardFigures mouvantes, recueil de cent courts textes accompagnés de dessins originaux, est paru initialement aux éditions Le Capucin en 2000. Pour Magazine Aléatoire, extraits choisis.

Lire aussi : Rite de passageL’arithmétique des morts — La photographie en couleur — Au pays des erreurs — Garde-meuble — Écrire

Textes et image : Bruno Guittard.
11/2023

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