L’entrevue qui déchire là où ça fait du bien
Tourner les pages avec la langue
Dans le texte en question : grignoter, courir, gratter, ronger, sauter, chercher, renifler, mordre, galoper… construire, toujours. Joël Fesel, en scène pour l’entrevue qui déchire !
Magazine Aléatoire — Comment t’appelles-tu et pourquoi, que fais-tu de ta vie et comment ?
Joël Fesel — Joël Fesel, Joël grâce à ma mère et Fesel à cause de mon père, ma vie je la bricole et une fois la chose faite, je joue avec.
De quoi te sens-tu coupable et capable ?
La culpabilité est comme un chien enfermé qui m’attend en remuant la queue pour sortir faire un tour, à peine sorti il s’éloigne mais revient toujours fidèlement. Nous faisons de longues balades ensemble.
Il me semble que je suis capable du pire, j’attends sans grande impatience de me le prouver.
Si tu devais changer d’enveloppe charnelle, tu ressemblerais à quoi ?
Une chienne, ça m’a toujours tenté mais ce qui m’arrête, c’est le maître à l’autre bout de la laisse.
Ça te fait mal quand tout est clair ?
Ça ne m’arrive jamais que tout soit clair, je suis à l’abri de toute douleur de ce point de vue-là.
Parmi les évolutions à venir chez l’homme, tu préfères courir plus vite ou mourir plus longtemps ?
Il me semble que mourir longtemps offre l’avantage d’être moins fatiguant donc de tenir le coup sur le long terme.
Tu te casses les deux bras… quel est ton livre de chevet ?
Je tournerai les pages avec la langue du livre de Pierre Guyotat : Coma.
Entre la politique qui serait une imposture et la religion une pathologie, quel camp choisis-tu et organises-tu une révolution ?
La religion a inventé la représentation et la politique les dispositifs de représentation, les révolutions se sont accommodées de ces deux univers. J’organise donc un repli stratégique vers un théâtre politique.
Juan Manuel Fangio, John Surtees, Richard Petty et bien d’autres ont dit et fait des choses qui paraissent essentielles, voire sublimes, peux-tu en dire autant ?
Pour ce qui est des sorties de route, absolument, sans pour autant avoir jamais ressenti cette notion de sublime, mais il faut dire que je n’étais pas filmé lors de mes dérapages incontrôlés (tant mieux du reste), ça change beaucoup la donne.
Des institutions, des médias, de l’artiste, qui fait l’œuvre de nos jours, selon toi ?
Celui qui manque à cette liste : le producteur.
Dans ton domaine d’activité, balance ce et ceux que tu ne supportes plus…
Faire des spectacles est insupportable, vivre et mourir sous la houlette du succès obligatoire est insupportable. La subjectivité avisée de monsieur « je n’aime pas » et madame « c’est trop bien » est insupportable. La phrase « je ne suis pas sûr que cette mise en scène fasse réellement entendre la profondeur du texte » est insupportable. Conforter les gens de gauche est insupportable, conforter ceux de droite est insupportable.
Les despotes éclairés, les avisés, les pertinents, sont insupportables, je me sens devenir insupportable.
À une question à laquelle tu ne peux répondre que par oui ou non… tu réponds par courrier ?
Je coche la case « j’accepte » et j’envoie mon courriel.
Pour finir, tu dis merci, pardon, on recommence ?
J’ai pris l’habitude depuis 1996 de dire MERCI pour tout et à tout va, un peu comme je pourrais dire « amen ».
Question complémentaire
À la question sur un sujet très pointu qui ne t’est pas posée, réponds ce que tu veux.
J’ai toujours un grand plaisir à partager un sujet auquel je n’ai intellectuellement aucun accès, d’autant si ce sujet ne relève d’aucun de mes questionnements. Il tient alors de l’ordre du magique et de l’oraculaire de tenter d’y répondre. Comment ne pas aimer devenir simultanément démiurge et oiseux ?
Joël Fesel vogue comme depuis toujours, sous pavillon Merci, sur les routes houleuses mais bucoliques et prospères de la création, à la surface de nos vies troubles. Sur le pont, scénographies insensées et auteurs encensés, histoires cadencées, comédiens balancés. En soute, théâtre et art contemporains, performances, actions… enragés. Objets lumineux.
En savoir plus : www.groupemerci.com
Entretien : Yann Febvre — Image : Luc Jennepin, Ci-je-gis, 2018.
07/2021
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