Figures mouvantes

Au pays des erreurs

Ces gens-là, tristes et plaisants, remontent le temps sur des chemins qui descendent vers le ciel. Au village, ils travaillent lentement du chapeau. Pour se faire remarquer, ils font des signes de la main et ne sourient jamais. Ils se sont perdus pour cause d’errance. Il est plus facile d’aller par les toits, un pied sur la maison, un autre dans le vide, pour fuir toute mélancolie.

Pour se lier au monde, la seule effusion lyrique des mots ne suffit pas. Un petit homme assis sur une chaise oriente un miroir où il attrape tout ce qu’il veut. Aussi invraisemblable qu’il y paraisse, il peut suivre une chèvre sur un nuage et la ramener sur terre.

Une autre fois, c’est la prairie entière qui bascule et c’en est fini de la vieille tranquillité : le passé immémorial remonte la rue déserte.

Dans le sillage d’une jolie fille, il vient faire sa révérence et comme elle était venue ici chercher midi à quatorze heures, elle ne s’étonne pas qu’une petite vie misérable ait occulté cette splendeur colorée.

Bela est arrivée dans un jardin où le signe avoué de leur amour obère tout pressentiment. Mais la vie est là, simple et désorganisée, autour du samovar.

Elle ne s’insurge pas contre le coq du village qui la convie en haut de l’escalier.

Elle prend son envol… et ce sont des vivants déjà couchés en plein ciel qui tournoient jusqu’à l’ivresse…

Dans la maison bleue, un témoin qui a la tête à l’envers et que rien n’arrête vide une bouteille de vin orange.

Les chats jaunes, les pères verts ont le cœur léger à Vitebsk.

Un voleur à triangle remonte ou descend au-dessus des coupoles comme un ludion.

Il y a encore des cœurs à boire et des verres à prendre mais ça ne va pas durer : il va neiger bientôt, geler à pierre fendre ! Des vagabonds avec des barbes de plusieurs mois et des manteaux de nuit commencent à prendre l’air, lourdement chargés d’un sac en toile par-dessus l’épaule. Ils emportent tout ce qu’ils peuvent (horloge, poissons, lampe à pétrole).

Dans le village en carton, les maisons se liguent les unes contre les autres, les dernières minutes leur paraissent infinies. Au pays des erreurs, les morts ne sont pas toujours reçus. Dans la rue pavoisée qui attend les outrages, la lumière dirige les ombres.

Les couleurs survivront-elles ?

Ils ont fini par se ressembler, et pourtant… Deux têtes assises sur leurs différences, dessins de Bruno Guittard accompagnant sa série « Figures mouvantes » pour Magazine Aléatoire.

Figure (é)mouvante.
En 1999, il y eût cette pluie de mots éparpillés sur la page, tombés d’on ne sait où…
Et maintenant il y a en bon ordre sur cette plaque mon « ridiculum vitae » : B. G. né en 1948 – mort en… Une question reste une question, mais Dieu merci, le ridiculum n’a jamais tué personne.
Pour Aléatoire, « pour aller à toi Relecteur inconnu. Pour aller à Toire, ce pays où l’on arrive jamais ».

L’ouvrage de Bruno GuittardFigures mouvantes, recueil de cent courts textes accompagnés de dessins originaux, est paru initialement aux éditions Le Capucin en 2000. Pour Magazine Aléatoire, extraits choisis.

Lire aussi : Conseils d’amiRite de passageL’arithmétique des morts — La photographie en couleur — Garde-meuble — Écrire

Textes et image : Bruno Guittard.
04/2022

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