Court toujours

Chambrette

Comme il est bon d’avoir un logis dans lequel rentrer le soir, après une dure journée.

Abritée sous les combles, se trouve une chambre mansardée, très bien aménagée. Ce n’est qu’une petite piaule de pas grand chose en réalité, au dernier étage, au-dessus de la tête de toustes les autres résident.e.s ; je marche sur le plafond des amoureux.ses de grands espaces, du chauffage dans toutes les pièces et de la clim en été. Tout là-haut, je surplombe toutes leurs petites misères, et je les entends se plaindre à longueur de temps, gémir pour un oui ou pour un non, pleurer sur le sort de la France éternelle bafouée, s’offusquer face à la fainéantise et à l’assistanat, se vautrer dans les édredons douillets de la nostalgie, alangui.e.s dans leur canapé et contemplant leurs idéaux bourgeois au milieu de leurs fétiches dorés, tout pétri.e.s de fanatisme et de certitudes béates, pour en somme ne jamais parler que d’elleux-mêmes. Enfin, c’est comme ça que je les imagine, car je ne les croise pas vraiment.

« Je vais vous montrer quelque chose. Mettez-vous à genoux et penchez-vous, regardez donc sous mon lit. Vous le voyez ? C’est un lapin. »

Sous mon toit, je suis finalement bien tranquille. Une table à manger, une chaise où m’asseoir, un lit pour dormir, une commode et une petite armoire, un mini coin cuisine, un lavabo et un miroir qui fait juste la taille de mon visage. Les commodités et la douche sont sur le palier – palier que je considère comme faisant partie intégrante de mon appartement. En prenant tout ça en compte, ma zone d’habitation doit être de 20 m², ce qui n’est franchement pas si mal. 

Mais n’allez pas croire que je ne vois personne ici. J’ai des voisin.e.s que je vois très souvent, tous les jours en fait, et même des colocataires. Par exemple, comme je laisse très souvent ma fenêtre ouverte, il y a des pigeons qui rentrent. Je les héberge le temps qu’il faut, pour qu’ils se remettent un peu. Je les soigne quand je peux – un seul cheveu humain enroulé à la patte suffit pour les estropier. D’autres fois, ce sont des moineaux qui viennent me chiper des miettes, et même parfois des chats, errants comme bien portants, qui viennent pour chiper les moineaux. L’été dernier, j’ai quand même pris le soin de laisser une nichée de merles à l’abri sur une poutre. C’est si beau le chant des merles !

Regardez donc sous mon lit. Vous le voyez ? C’est un lapin. « Chambrette », un texte de Zoé Viala, une image de Caroline Pandelé pour Magazine Aléatoire.

Je vais vous montrer quelque chose. Mettez-vous à genoux et penchez-vous, regardez donc sous mon lit. Vous le voyez ? C’est un lapin. Il est plutôt balèze, mais il reste craintif. Il a une fâcheuse tendance à grignoter le rembourrage du matelas, mais heureusement je ne l’entends pas trop la nuit. Ce qui est gênant en revanche c’est ce qu’il y a au-dessus. Soulevez l’oreiller pour voir. Là là, n’ayez pas peur, ils dorment. Ce sont des petits crapauds. On ne dirait pas comme ça, mais ils sont très actifs une fois le jour tombé, et il font un raffut de tous les diables. Ils remontent dans la plomberie et finissent dans le lavabo, c’est comme ça qu’ils arrivent. D’ailleurs tout ce que vous voyez là, tout autour de la bonde, ce sont leurs œufs, qui forment comme des chapelets. Il y en a tellement, ça va certainement bientôt déborder. Pareil, si vous regardez au plafond, vous ne les voyez peut-être pas très bien, mais il y a plein de chauve-souris. Elles sont très discrètes mais quand elles commencent à tournoyer dans tous les sens au-dessus de votre tête et à vous couiner dans les oreilles quand vous essayez de dormir je peux vous assurer que ça fait drôle. Quand j’y pense je me dis que quand même je ne dors pas beaucoup, car avant même que le jour se lève, je suis réveillée par les poules. Elles se laissent tomber de la table de chevet et de la table et s’écrasent par terre en caquetant de surprise. Et évidemment ça réveille le dindon qui se met à glouglouter à son tour, et les pintades qui criaillent à vous déchirer les tympans. C’est comme ça que mes journées commencent. 

Vous vous demandez sûrement ce que c’est que cet encombrement devant la petite fenêtre. Et bien ce sont quatre vaches. Oui oui, de vraies vaches de ferme, avec leur queue qui chasse et qui se pressent contre la vitre pour regarder les voitures passer. Regardez, rien que là, dans le salon. Il y a une petite moquette, et dessus on dirait qu’il y a plein de boue. C’est normal, car il y a là depuis un moment un gros bonhomme tout rose et tout nu, qui ne s’embarrasse jamais d’utiliser les toilettes pour faire ses besoins. Il grommelle beaucoup, et ses grandes oreilles lui pendouillent sur les yeux. C’est un bon gros cochon, qui patauge tranquillement. Juste à côté, sous la table, il y a carrément une mare – sûrement due à une fuite – et dedans barbote toute une famille canard. En tout, il y a cinq bébés. C’est très humide tout compte fait ici, mais comme je vous ai dit, j’aère presque tout le temps. Bon et puis il y a les moutons tout noirs qui se baladent toujours groupés, si bien qu’il y a des soirs où je bataille pour atteindre mon lit, alors que je ne suis pourtant qu’à deux enjambées tout au plus ! Là où je range mes chaussures, il y a la chèvre, qui est toujours calme, sauf quand les chats lui grimpent dessus pendant sa sieste. Aussi, je me sers très rarement de la cuisine, à cause des furets sur la gazinière. J’ai bien pensé à m’acheter un four mais ça prendrait trop de place. Après je dois avouer, je laisse souvent la porte de chez moi ouverte. Il faut bien car les ânes adorent se planter entre mon entrée et le coin sanitaire. Ils font le lien si vous voulez, entre les espaces. Cela a du bon, notamment le fait que ça bloque la route aux chats qui voudraient descendre par l’escalier. Mais c’est en même temps à cause d’eux que les oies courent partout et qu’on se retrouve à devoir se retenir pendant des heures avant de pouvoir accéder au petit coin… Vous voyez, je suis loin d’être isolée. Je suis même assez chanceuse, car j’ai entendu dire qu’en-dessous, iels avaient des problèmes de rats. 

Les récits sont innombrables. Ils sortent de partout, d’un écrin de savon, d’une tête de mort en plastique, d’un chant qui coule en secret. Ils partent n’importe où, ruisseau dévalant la montagne, entre chênes et bouleaux. Et Zoé Viala en attrape, en élève, en fixe quelques-uns sous la lumière d’une lampe à lave bleue. Et tout s’échappe.

En savoir plus : @zo.evia.la

Lire aussi : Un manoir dans la nuit

Texte : Zoé Viala — Image : Caroline Pandelé.
12/2024

Et à côté…

Légères montagnes #1. Rolino Gaspari

Légères montagnes #1. Rolino Gaspari

Mes lunettes. Ana Tot

Mes lunettes. Ana Tot

Le pouls du hall. Pat Mills

Le pouls du hall. Pat Mills

289 #5. Caroline Pandelé

289 #5. Caroline Pandelé

Deux sens pour la visite. Pat Mills

Deux sens pour la visite. Pat Mills

Thé. Juliette Belleret

Thé. Juliette Belleret

Un manoir dans la nuit. Zoé Viala

Un manoir dans la nuit. Zoé Viala

Front. Juliette Belleret

Front. Juliette Belleret