Garde-meuble
Ils ont fini par se ressembler. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’ils prennent la parole en même temps, sous l’effet d’une commune détermination.
La réponse arrive trop tard, elle n’est pas entendue. La question vient supplanter une autre question. Aucune réponse ne peut les satisfaire. Voilà bien la question…
De l’autre côté de la rue, une voisine, jadis, vivait en joyeuse compagnie. Les rires ont disparu, les signes de la main, retirant toute pertinence au réel. Depuis quelques mois, plus rien…
Mais autre chose qui envahit tout sur l’appui de la fenêtre : le motif jaune de l’assiette.
Le chat fait des siennes, il sait « le ciel si bleu par-dessus le toit ». À la longue, il n’a plus trouvé leurs mains assez caressantes.
C’est ingrat un chat, un animal qui préfère la jeunesse d’une autre rue. Il ne craint pas de redescendre si bas dans l’échelle sociale.
Il lui arrive de revenir, mais ce n’est plus comme avant. C’est pour les observer, à la dérobée. Il s’est « déshabitué ». Ces deux-là lui font peur. C’est trop pour un seul chat.
Dans l’appartement règne une odeur de renfermé qui lui déplaît souverainement. Autrefois il y avait du spectacle, des éclats de voix autoritaires, des disputes mémorables. À cette heure, il n’y a rien d’autre que la destruction verbale du voisinage, avec de l’aigreur au coin des lèvres et une liste d’objets pour le commissaire-priseur.
Allez‑y de ma part, dites-leur que…
Non, ne leur dites rien surtout : les automatismes ont la vie dure.
Le chat reviendra quand même. Avec sa légèreté, il est ici le seul qui puisse de sa patte griffue attraper l’invisible.
Un fils n’est jamais revenu. Un souvenir rôde, tenace… Ce mot qu’un oncle facétieux avait écrit à l’intérieur du buffet : « Une place pour chaque chose, chaque chose à sa place. »
Figure (é)mouvante.
En 1999, il y eût cette pluie de mots éparpillés sur la page, tombés d’on ne sait où…
Et maintenant il y a en bon ordre sur cette plaque mon « ridiculum vitae » : B. G. né en 1948 – mort en… Une question reste une question, mais Dieu merci, le ridiculum n’a jamais tué personne.
Pour Aléatoire, « pour aller à toi Relecteur inconnu. Pour aller à Toire, ce pays où l’on arrive jamais ».
L’ouvrage de Bruno Guittard, Figures mouvantes, recueil de cent courts textes accompagnés de dessins originaux, est paru initialement aux éditions Le Capucin en 2000. Pour Magazine Aléatoire, extraits choisis.
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Textes et image : Bruno Guittard.
03/2022
Et en face…